Que savons-nous de l’Orechnik ?

Le 21 novembre 2024, la Russie a visé le complexe industriel de PA Pivdenmash/Yushmash, à Dnipro, avec un nouveau missile annoncé par les autorités russes comme l’OrechnikOu Oreshnik (noisetier). De nombreuses spéculations ont été publiées concernant le système, qui reste encore largement méconnu. Plusieurs hypothèses peuvent néanmoins être faites sur la frappe du mois de novembre et les technologies impliquées.

Au vu des informations disponibles, il apparaît que le tir a été réalisé depuis le site d’essai de Kapustin Yars, ce qui semble indiquer un système en cours de développement et non pas déjà déployé. Il aurait volé sur une distance d’environ 900 km avant de larguer six têtes indépendantes emportant chacune six sous-munitions. Il a été rapporté que le missile aurait été utilisé pour réaliser de multiples impacts en utilisant la force cinétique et sans charge explosiveRobert Greenall et Chris Partridge, « What we know about Russia's Oreshnik missile », BBC, 22 novembre 2024. https://www.bbc.com/news/articles/cvg07zw9vj1o.

D’un point de vue opérationnel, il a été noté que bien que le système soit confié aux forces des missiles stratégiques, ses modalités d’emploi semblaient davantage s’inspirer de celles du SS‑26 / Iskander‑M et ne pas nécessiter les infrastructures nécessaires pour les ICBM Yars ou TopolDimitry Stefanovich, « Oreshnik IRBM: What We Know and What We Don’t Know », RIAC, 4 décembre 2024. https://russiancouncil.ru/en/analytics-and-comments/analytics/oreshnik-….

Immédiatement après le tir, les États-Unis ont indiqué que le missile utilisé était un dérivé du RS‑26 Rubezh, et que la Russie avait notifié les États-Unis préalablement à son utilisationDeputy Pentagon Press Secretary Sabrina Singh Holds a Press Briefing, U.S. Department of Defense, 21 novembre 2024. https://www.defense.gov/News/Transcripts/Transcript/Article/3975265/dep…. Le lendemain, les autorités russes se sont exprimées sur le sujet. Le porte-parole du Kremlin Dimitri Peskov a affirmé que bien que cela ne soit pas requis d’un point de vue légal, une pré-notification automatique avait bien été émise via le NRRC (National Center for Nuclear Threat Reduction)Kremlin clarifies notification process for Oreshnik missile launch, TASS, 22 novembre 2024. https://tass.com/politics/1876285. Poutine a souligné le caractère nouveau du système« Putin praises new Oreshnik missile used against Ukraine »,  Associated Press, 22 novembre 2024. https://www.youtube.com/watch?v=-5lPSNDDtlo. Il a également signalé que le système allait entrer en production de masse, était déjà en cours de déploiement avec un certain nombre de systèmes produits, et qu’il serait opéré par les forces de missiles stratégiques russes (RVSN). Le nombre de 25 missiles produits par an a été mis en avant comme probableJeffrey Lewis,  BlueSky, 12 décembre 2024. https://bsky.app/profile/armscontrolwonk.bsky.social/post/3ld35c5hykc2r.

Pour rappel, le RS‑26 Rubezh était à l’origine un programme de modernisation de l’ICBM RS‑24 Yars. Si la Russie l’avait annoncé comme un système stratégique au sens des traités de maîtrise des armements, des sources occidentales ont soupçonné que plusieurs essais avaient été réalisés à des portées inférieures à 5 500 km et que le système était davantage conçu comme un IRBM par la RussieJoseph Trevithick, « Russia Halts Years of Work on Ballistic Missile to Pay for Hypersonic Weapons »,  The War Zone, 24 mars 2018. https://www.twz.com/19588/russia-halts-years-of-work-on-ballistic-missi…. TASS avait annoncé la suspension du programme en 2017 pour une période de 10 ans, permettant selon le média russe de focaliser les investissements sur les systèmes hypersoniquesIbid.

Bien que les autorités russes insistent sur le caractère novateur du système, beaucoup d’experts jugent très probable qu’il soit inspiré d’un programme antérieur. L’observation de débris a permis à certains d’estimer qu’il ne s’agissait sans doute pas du Rubezh, en raison d’un diamètre trop faibleTimothy Wright,  X, 21 novembre 2024. https://x.com/Wright_T_J/status/1859651279402004911. D’autres programmes datant de l’ère soviétique pourraient avoir été utilisés pour l’Orechnik, en particulier le 15Zh59 Kuryer, conçu pour rivaliser avec le missile américain Midgetman. Tout en ambitionnant une portée intercontinentale, il était de taille très réduite (11,2 mètres de long et 1,36 mètre de diamètre)Michael Duitsman,  X, 21 novembre 2024. https://x.com/DuitsmanMS/status/1859701451645387172. Le 15Zh66 Skorost a également été mentionné, un IRBM dont le déploiement était envisagé pour les États du Pacte de Varsovie et qui utilisait des étages du SS‑27 Topol et du SS‑20Michael Duitsman, op. cit.. En l’absence d’images du missile, il est impossible d’acquérir une certitude sur son origine et les technologies employées et la genèse du programme. Des questions se posent en particulier sur le véhicule de réentrée, qui a pu être qualifié d’hypersonique dans la presse russe, sans que l’on sache s’il est composé d’un planeur manœuvrant, de têtes multiples indépendantes ou d’un bus portant plusieurs têtes et des leurresJoseph Trevithick, « Russia’s Experimental Ballistic Missile Used to Strike Ukraine Is Based on the RS‑26 Rubezh »,  The War Zone, 21 novembre 2024. https://www.twz.com/land/russias-experimental-ballistic-missile-used-to….

Enfin, la terminologie n’est pas dénuée d’ambiguïté puisque l’agence de renseignement militaire ukrainien a laissé entendre que le nom « Orechnik » ne désignait que le prototype d’un système de moyenne portée à vocation nucléaire baptisé « Kedr » (Cèdre)Maryna Kulakova et Tetiana Frolova, « Oreshnik or Kedr: Ukrainian Intel Chief Explains Confusion Over the Name of Russia’s New Ballistic Missile »,  United24, 22 novembre 2024. https://united24media.com/latest-news/oreshnik-or-kedr-ukrainian-intel-…

Au vu d’absence de missions spécifiques apparentes dans la frappe de Dnipro, le caractère politique de la frappe a été souligné, plus évident que son intérêt militaire. En effet, l’accroissement de la distance risquait de réduire la précision de la frappe par rapport à des SS‑26 / Iskander‑M utilisés généralement par Moscou depuis le début du conflit pour ce type de cibleSidharth Kaushal et Matthew Savill, « The Oreshnik Ballistic Missile: From Russia with Love? »,  RUSI, 10 décembre 2024. https://rusi.org/explore-our-research/publications/commentary/oreshnik-…. De plus, le coût du système est également supérieur à d’autres systèmes d’armes capables d’infliger des dégâts similaires. Par ailleurs, si l’Orechnik est sans doute particulièrement difficile à intercepter, le taux d’interception des Iskander est resté sous les 5% depuis le début du conflit. Enfin, si le tir avait une vocation expérimentale, l’utilisation d’une cible réelle en territoire ennemi est sous-optimale dans la mesure où il est impossible d’effectuer de nombreux relevés et mesuresMaxim Starchak, « Russia’s Hypersonic Missile Attack on Ukraine Was on Attempt at Blackmail »,  Carnegie Politika, 29 novembre 2024. https://carnegieendowment.org/russia-eurasia/politika/2024/11/russia-or….

La politisation de la frappe a été visible dans le discours du Kremlin : Poutine a comparé l’impact à celui d’une météorite, a menacé de l’utiliser pour réduire Kiev en cendresMatthew Powell, « Introducing the Oreshnik missile: Vladimir Putin’s not-so-secret weapon », The Conversation, 2 décembre 2024. https://theconversation.com/introducing-the-oreshnik-missile-vladimir-p…, et a indiqué qu’« un nombre suffisant de ces armes de pointe éliminerait le besoin d’utiliser des armes nucléaires »« Oreshnik missiles to eliminate need for nuclear weapons, Putin says »,  TASS, 10 décembre 2024. https://tass.com/politics/1885299. Enfin, le calendrier de déploiement annoncé, à la mi‑2025, pourrait sous-entendre que V. Poutine se réservera la possibilité de relancer ses propositions de moratorium sur les forces à portée intermédiaire après l’entrée en fonction de l’administration TrumpDimitry Stefanovich,  X, 7 décembre 2024. https://x.com/KomissarWhipla/status/1865303185037906009.

Dans l’immédiat, Alexander Lukashenko a déjà fait connaître son intention d’héberger des Orechnik, indiquant se préparer à un déploiement d’ici au premier semestre 2025, information corroborée par la Russie. Le dirigeant bélarusse a indiqué qu’il serait autorisé à choisir les cibles lui-même, mais Moscou a précisé que les armes resteraient sous son contrôle et qu’une décision d’emploi serait prise de manière conjointe« Belarus says it has dozens of Russian nukes, is ready for new missile »,  Voice of America, 10 décembre 2024. https://www.voanews.com/a/belarus-says-it-has-dozens-of-russian-nukes-i….

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